Ruptures et mutations des cultures épigraphiques dans le monde romain (IIIe s. a. C. – VIe s. p. C.)
La production d’inscriptions, associée aux pratiques politiques, religieuses, socio-économiques ou culturelles des sociétés antiques, est désormais considérée comme un objet d’étude à part entière, en particulier depuis les travaux menés dans les années 1980 par Mireille Corbier, Ramsay MacMullen et Giancarlo Susini. Les inscriptions ne sont plus considérées uniquement pour les multiples renseignements qu’elles apportent à l’historien en tant que sources, elles sont désormais aussi étudiées en tant que phénomène culturel, caractéristique des cités antiques du bassin méditerranéen, comme le soulignait déjà Louis Robert au début des années 1960.
Depuis le début des années 2000, les épigraphistes ont mis en lumière la diversité des pratiques et des cultures épigraphiques selon les régions du monde romain et leurs traditions antérieures, qu’il s’agisse de l’Italie républicaine, étudiée par Clara Berrendonner, ou bien de la Gaule et de l’Espagne pré-latines et romaines, auxquelles sont notamment consacrés les travaux de Nathalie Barrandon, Francisco Beltrán et Coline Ruiz Darasse. La transition entre les cultures épigraphiques pré-romaines et romaine a ainsi fait l’objet d’un colloque récent intitulé Palaeoeuropean Languages and Epigraphic Cultures. Challenges and New Perspectives = Lenguas y culturas epigráficas paleoeuropeas. Retos y nuevas perspectivas, F. Beltrán Lloris, B. Díaz Ariño, Ma J. Estarán Tolosa, C. Jordán Cólera (éd.), avec la collaboration de J. Herrera Rando, 2 vol., Saragosse, 2020. À l’autre bout du spectre chronologique, l’Antiquité tardive a donné lieu à un colloque, en 2017, intitulé The Epigraphic Cultures of Late Antiquity (K. Bolle, C. Machado, C. Witschel éd.) et les mutations épigraphiques entre la fin de l’Antiquité et le Haut Moyen Âge ont par exemple été analysées par Danilo Mazzoleni, s’agissant du développement d’une épigraphie chrétienne (Mazzoleni 2020), ou par Morgane Uberti dans le cadre de l’Aquitaine Seconde et la Novempopulanie.
La segmentation fréquente des études épigraphiques consacrées selon les cas aux époques pré-romaine, romaine, tardo-antique ou encore alto-médiévale, a conduit à délaisser quelque peu l’approche diachronique de ces faits culturels. Les travaux récents n’hésitent plus à s’inscrire dans une chronologie large ouvrant sur le Moyen Âge (cf. Annoscia, Camia & Nonnis 2023), mais celle-ci ne constitue pas l’angle privilégié des recherches. L’intérêt de la Rencontre sera précisément de replacer la question chronologique au cœur de l’analyse des pratiques épigraphiques, de les étudier dans la longue durée et de confronter les mutations observées à toutes ces époques, aussi bien dans les provinces latinophones qu’hellénophones. On sera attentif également aux phénomènes de différenciations régionales, voire locales, afin d’analyser les rythmes et les usages spécifiques à différentes échelles : échelles géographiques (cités, provinces), échelles chronologiques (spécificités de la période tardo-républicaine ou de la période augustéenne par exemple), échelles thématiques et/ou institutionnelles (épigraphie de l’armée romaine, épigraphie du judaïsme, épigraphie « chrétienne », cf. Felle 2007 et 2008). On pourra pour cela mener des enquêtes comparatives, notamment transrégionales.
Les renouvellements de la discipline épigraphique depuis quelques décennies favorisent une meilleure appréhension de la chronologie des pratiques, qu’il s’agisse de la plus grande attention accordée aux supports dans les publications ou plus récemment encore des développements de l’épigraphie numérique qui facilite les approches quantitatives, en particulier concernant l’évolution des formulaires. On s’intéressera donc particulièrement aux mutations qui s’appliquent aussi bien à la forme qu’au contenu des textes et qui transcrivent ainsi les transformations affectant le pouvoir, la société ou les échanges.